Ri de Luca

Documentaire de Robert Bober

Exploration de l’intimité littéraire du grand écrivain italien. Premier portrait d’une nouvelle collection sur la littérature contemporaine.

Des rides et du bleu, la mer, les yeux clairs d’un écrivain qui parle à peine, assis dans une barque en compagnie d’un vieux pêcheur hilare: ainsi s’ouvre le portrait d’Erri De Luca réalisé par Robert Bober pour la nouvelle collection qu’Arte consacre à la littérature contemporaine.

Le titre de la série, A mi- mots, va bien à l’auteur italien, qui l’inaugure: un homme sec, à la parole économe mais sûre, qui donne à voir son corps entier comme l’outil d’une écriture simple et souvent belle, poussée parfois jusqu’aux limites du hiératisme, l’abrupt du lacunaire le plus sentencieux.

Erri De Luca fut longtemps ouvrier, il travailla la terre et connut l’usine jusqu’en1996, année où sa renommée littéraire – une douzaine de ses livres sont aujourd’hui traduits en français, chez Rivages et Gallimard -lui permit d’abandonner la contrainte quotidienne des labeurs physiques. Il en a gardé des mains extraordinaires, qu’on voit beaucoup tout au long du film de Robert Bober: fines et puissantes, elles racontent une histoire silencieuse, une vie qu’on devine aussi à travers les échos « à mi- mots » de l’auteur.

Ce sont des bouts de biographie et des morceaux de textes, qui font apparaître en moins d’une demi-heure l’authentique intimité littéraire d’un homme amoureux des livres et des langues, qui dit sans coquetterie: « Je crois plus aux histoires qu’aux écrivains, la vie des écrivains ne m’intéresse pas. »

Celle d’Erri De Luca est ici très sobrement suggérée par un réalisateur qui fut aussi l’ami de Georges Perec : Bober répertorie les « espèces d’espaces » qui composent l’univers de l’écrivain et traque ainsi – de la page de carnet aux ruelles de Naples-le juste cadre pour son portrait. « Je suis un lieu », déclare d’ailleurs l’auteur de Montedidio, comme pour inviter en souriant les lecteurs à l’arpentage, à la rencontre cordiale.

Le documentaire relève de cette façon une sorte de défi géographique, parcourant les territoires et la mer d’un De Luca nageur, marcheur, lecteur, pêcheur, paysan … Le monde est là, dont les livres disent les mystères ou l’évidence, et dont les images répètent la lumineuse importance. Il y a des ombres, pourtant, dans ce portrait: l’auteur rappelle qu’étant né en 1950, il est l’enfant du demi-siècle le plus meurtrier de l’histoire de l’humanité_ A la différence de sa mère, avec laquelle il s’entretient en napolitain, il n’a pas connu les guerres et tragédies d’une telle période, mais il s’obstine dans cette illusion: corriger le passé. Ecrire, apprendre le yiddish, étudier la Bible sont pour lui les moyens d’une réparation: la chimérique réconciliation d’un petit Italien du Sud avec un destin qui n’était pas le sien.

L’image ici n’est plus nécessaire: nous entendons une voix, prête à reprendre le récit commencé dans les pages de Tu, Mio ou de Trois chevaux. Et ce beau film n’était donc que cela: le prélude à mi- mots d’une lecture murmurée.

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