Lifting a l’américaine

Rocky s’en va, la Mafia revient, les Indiens font de la brocante et le Vietnam embrase toujours les producteurs. Coup d’œil dubitatif sur le cinéma américain de cette nouvelle décennie entamée avec un (sang ?) neuf. Des dollars et des stars à la pelle. Par Claire Larsen.

L’année 89 a été incontestablement l’année de la chauve-souris ! 150,5 millions de dollars de profit. Du jamais vu dans l’histoire de la souris ailée et de son avatar, le bien nommé Batman ! Si nous ne savons pas encore quelles surprises nous réserve le cinéma américain des années 90, quelques tendances se dessinent déjà à l’horizon de cette fin de siècle. Avec, pour commencer, la Mafia qui revient très fort. Francis Fond Coppola tourne «Le parrain 3» (une production de 44 millions de dollars) à Cinecitta. Et, diriger «Le parrain», c’est ce qu’il fait le mieux. «Le parrain 3» se penche sur les rapports qu’entretiendrait la famille Corleone avec… le Vatican ! Michael Corleone (Al Pacino), plus diplomate que jamais, tente de rendre légitime la fortune de «la famille» en s’appropriant des parts dans une multinationale européenne immobilière, avec le Vatican comme intermédiaire. Mais il est trahi par ses vieux amis et manipulé par des banquiers véreux. Il est également voué à la haine de son neveu Vincent (interprété par Andy Garcia). Alors que le pape est mourant, ce qui risque de remettre en question le deal entre les Corleone et le Vatican, les ennemis de Michael font une offensive en Sicile. Sa seule consolation : les retrouvailles avec son ex-femme, Kay (Diane Keaton), et son fils qu’il ne connaît pas, Tony, devenu chanteur d’opéra quand son papa le voyait avocat. Pour avoir la primeur du «Parrain 3», il suffit de prévoir un petit voyage à Seattle cet été ! C’est en effet là que le film sera projeté en avant-première en attendant sa sortie à l’automne. Mafia toujours avec Martin Scorsese, qui, lui, est en train de boucler «Good fellas», adapté du livre de Nicholas Pileggi, «Wiseguy». En vedette : Robert de Niro et Ray Liotta. L’histoire : celle d’un jeune homme qui granditdans la Mafia entre les années 1955 et 1980. «C’est un film sur le mode de vie de la Mafia plutôt que sur les règlements de compte, confiait récemment Scorsese, il s’agit d’un mélange de documentaire, drame et comédie». A noter que Scorsese sera également à l’affiche de «Dreams» cette année. En tant qu’acteur cette fois. «Dreams» est le dernier film d’Akira Kurosawa — l’idole de Scorsese. Le maître y met en scène neuf de ses rêves, dont certains remontent à l’enfance. Un chef-d’œuvre en perspective. Autre thème en vogue dans les années à venir… les Indiens, ou «native americans», est-il préférable de dire. Le dernier chic en Amérique est donc de se découvrir des racines indiennes. Un peu de sang cherokee, navajo ou nez percé (prononcez nèze-pirce !), fut-il dilué à 400 o/o, vous assure un succès fou dans les salons. Il permet surtout de ne pas se sentir concerné ni impliqué dans les événements en cours : «Le crack, le Panama, le crime de Boston, les sans-abri, le maire de Washington… Vous savez, moi, j’ai des racines indiennes, tout cela ne me concerne pas vraiment !» Côté cinéma, on pensait qu’après «Little big man» et «Soldier blue», il n’y avait plus rien à dire sur les Indiens. Rien côté folklore, tipis, squaws et tomahawks peut-être, mais tout à découvrir sur les Indiens du 20e siècle. L’écrivain Tony Hillerman vit au Nouveau-Mexique. Il y écrit depuis de nombreuses années des romans policiers dont les héros, John Leaphorn et Jim Chee, sont deux policiers navajos. Ces romans se passent dans les réserves indiennes de l’Arizona, du Colorado et de l’Utah, et le génie de Hillerman est d’avoir su, sans stéréotypes et sans parti-pris, donner une véritable image de la vie dans les réserves, un formidable mélange de croyances indiennes et de réalités du 20e siècle. Ses protagonistes oscillent sans cesse entre le sacré et le profane. On y parle de trafic d’antiquités indiennes, on y rencontre des archéologues prêts à se damner pour un squelette anasazi… bref, ses romans sont à couper le souffle. Robert Redford produira, via sa compagnie The SundanceInstitute, la première adaptation à l’écran d’un des romans best-sellers de Hillerman, «The darkwind». C’est Errol Morris, l’auteur du remarquable documentaire à scandale «The thinblue line» qui en assurera la réalisation. Rappelons que «The thinblue line», un documentaire d’un genre particulier sur une erreur judiciaire au Texas, avait permis la libération d’un homme promis à la chaise électrique pour un crime qu’il n’avait, de toute évidence, pas commis. Précisons qu’à peine sorti de prison — grâce à l’impact du film — cet homme a poursuivi Errol Morris en justice, réclamant des sommes astronomiques sous prétexte que le réalisateur ne lui avait pas versé un SOU pour les droits de son histoires ! Errol Morris s’était endetté pour produire ce film qui lui valu certes une grande notoriété, mais également des tonnes d’ennuis et surtout de nombreux ennemis au Texas et dans les milieux policiers. L’affaire n’a toujours pas été réglée et espérons qu’Errol Morris se découvre rapidement un peu de sang apache… Autre tendance à cultiver, celle que j’ai de prendre mes désirs pour des réalités ! Car, sortez vos grands mouchoirs, Rocky Balboa est mort !.Après treize ans, cinq films et un demi-milliard de dollars (gosh !), l’alter ego de Stallone est mort des propres mains de son créateur dans le «Rocky 5» à venir. Passons sur l’aspect dramatique de la chose, Stallone s’offre un lifting pour les années 90. Plus de Rambo, plus de Rocky, plus de personnages aux QI rase-bitume et à l’élocution lente ! Faut-il en déduire que le public, après une bonne décennie de ramollissement cérébral s’est enfin réveillé et boycotte le genre ? Peut-être. Car les Rambo, Chuck Norris et autres M. Muscle ne donnent plus de pousséesde fièvre au box-office. Alors que nous réserve Stallone pour les années à venir ? On en tremble déjà d’émotion. C’est sûr et ar-chi sûr : «I want to bean ,acktor», a-t-il déclaré, et il a décidé de se lancer dans l’adaptation à l’écran de l’histoire d’Otis Redding avant d’enchaîner sur d’autres projets «à thème» (regosh !). En attendant, «Tango and cash» est déjà sur les écrans et ne révolutionne pas l’histoire du cinéma américain, même s’il assure un bon nombre d’entrées. Rappelons que Stallone y incarne un flic intelligent et érudit aux côtés de Kurt Russell les gros bras. Revenons à nos tendances… bien que Stallone en soit une à lui tout seul ! «Fly by», «Navy seal», «Wings of the Apache», ce trio en production, sans compter «Flight of the intruder», «Air america» et «The hunt for Red October» tendent à prouver que le film militaire et néo-patriotique a le vent en poupe ! Histoire de rassurer l’Amérique quant au degré de gonflette de ses biceps et la puissance de son armée. Il aurait été impossible d’imaginer la sortie de tels films il y a quinze ans. Cette résurgence marque un dangereux retour à des valeurs conservatrices ou pires. Mais la contre-tendance est là avec les sorties respectives de «Né un 4 juillet» d’Oliver Stone et surtout de «Glory». Il faut reconnaître que les Américains ont l’art de poser de bonnes questions, même si c’est d’une…façon naïve, même si c’est d’une façon hollywoodienne : «Né un 4 juillet» est un film sur le Vietnam, sur le post-Vietnam, sur la désill4ion et le désenchantement. «Encore ?» Vous direz-vous… Oui, et rien de bien nouveau en soi, car. Oliver Stone est un radoteur. Un radoteur de talent, mais un radoteur quand même, et le public avoue, comme à regret, «d’avoir marché» à «Né un 4 juillet». En revanche, et même s’il appartient à la même tendance de films «pacifistes», «Glory» d’Edward Zwick raconte une page d’histoire assez méconnue. L’épopée du 54e régiment du Massachusetts : le premier régiment de Noirs, créé pendant la guerre civile, et du colonel Robert Gould Shaw, un jeune idéaliste blanc de vingt-cinq ans nommé à la tête du régiment. Un jeune homme «bien né» et interprété superbement par Matthew Broderick. On y raconte la création de ce régiment auquel personne ne croyait. On y raconte l’injustice dès le départ : les soldats noirs étaient moins payés que leurs homologues blancs, on ne voulait pas les envoyer au front, et leur seule bataille était d’obtenir des chaussures pour leurs pieds nus d’anciens esclaves… Dans une scène intense de mélo — mais qui fonctionne, ô combien ! Le colonel inflige une punition à un des soldats accusé de désertion (en réalité, il ne voulait pas déserter mais se procurer une paire de chaussures). Verdict : dix coups de fouet. La caméra s’attarde sur le dos strié de cicatrices de cet ancien esclave, sur son regard chargé à la fois de mépris, de désespoir et de haine alors qu’il reçoit le fouet sans broncher et qu’une larme coule le long de sa joue. Hollywood ? Certes… mais il faut être un imbécile pour ne pas avoir le blues à ce moment-là ! Ledit régiment, grâce à la ténacité de son colonel et à la foi de ses hommes — faut-il dire «ses» hommes ? — se portera volontaire pour une bataille perdue d’avance, et ira y mourir… pour la liberté ! « Glory » est un film tendre, triste, mélo, sans happy end et qui soulève de grandes questions tout à fait d’actualité. Il est bon de se souvenir qu’il n’y a pas si longtemps, après avoir kidnappé des milliers d’esclaves en Afrique et les avoir réduits en esclavage dans le sud du pays, les Etats-Unis se sont retrouvés avec des régiments de Noirs volontaires et prêts à mourir pour le pays, pour la liberté, pour l’Union. C’est simple, peut-être, c’est simpliste, si vous voulez. C’est peut-être tellement simple qu’il est bonde s’en souvenir. Et peu importe que pour se le rappeler il faille un film promis aux Oscars, haut en couleur, aux décors et à la mise en scène exceptionnels. Ou plutôt, tant mieux. Cette décennie, sera, à n’en pas douter, placée sous le signe des «nouvelles têtes». Il y a dix ans, Kevin Costner était un acteur de série B, Kim Basinger sortait à peine des pages de Playboy et Jessica Lange des pattes de King Kong. Personne n’avait jamais entendu parler de Michelle Pfeiffer, ni de Mel Gibson. Quant à Tom Cruise, il était à peine sorti de sa crise d’adolescence. Il aura fallu une dizaine d’années pour que leur personnalité, leur talent, voient le jour. Ceux-là occuperont-ils toujours le haut de l’affiche dans les années à venir ? Peut-être, mais ils n’ont qu’à bien se tenir car la nouvelle fournée de jeunes talents arrive…

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