Lettre à un jeune stagiaire rêveur…

Pour la deuxième fois, Gérard profite de notre tribune pour « pousser un coup de gueule ». Existe-t-il encore en France un avenir économique pour les artistes passionnés et talentueux ?

exemple de stagiaireEn mars, il n’y a pas que la bière du même nom; il Y a aussi la floraison des nouveaux stagiaires en entreprise, étudiants en écoles photo, qui viennent renifler l’air de leur avenir dans les agences de presse ou de ce qu’il en reste … Ils viennent avec leurs yeux rêveurs et aussi l’angoisse en bandoulière à l’idée qu’ils se font de rencontrer le monde du travail et leur « maître de stage » du moment. En préambule à leur séjour, j’ai depuis quelque temps envie de leur réciter la phrase d’Aragon (côté poète) : « C’est avec les jeunes imbéciles (comme vous) qu’on fait les vieux cons (comme moi). » En attendant, apprenons-leur donc pendant deux ou trois semaines, à ces jeunes naïfs, les mystères de la photo, la lumière, le cadrage, les idées, les émotions et les passions futures du grand reporter. .. Mais parfois je n’ai plus envie de rêver, de faire rêver et d’aider un jeune à revivre tout ce que, à partir de 16-20 ans, je croyais être archi vrai… Apprends, travaille (beaucoup), invente, crée ta boîte, défonce-toi, etc. J’avais tout faux! A 16 ans, j’ai publié ma première photo, à 27, créé avec trois francs six sous, l’agence de presse qui porte mon nom. Vingt-sept ans plus tard, exactement, c’est la merde.

Cher stagiaire, entre-temps, l’Etat te pompe au maxi, sa gourmandise et ses lois de toutes sortes transforment vite un jeune créateur en patron-esclave, responsable de tout et du pire et corvéable à merci. J’ai commencé ma boîte avec deux tréteaux en bois, une planche repeinte en vert (l’espoir 7), un tabouret, « diabolo » en plastique à la mode dans les années 70 et un téléphone gris à fil … J’étais assurément moins riche, alors, que le plus pauvre de mes stagiaires d’aujourd’hui. Je bossais déjà 12 à 14 heures par jour, week-end compris, et j’avais sans doute un certain talent, voire même du génie selon certains! Bref, artiste ou artisan acharné, j’ai fait une agence dite « célèbre » et surtout, au dire d’autres, j’ai créé un vrai style dans la photo de sport. C’est sûrement vrai puisque notre travail est copié, jusqu’à plus soit; depuis longtemps.

Quoi qu’il en soit, cher(e) stagiaire, sache bien qu’en douce France ton génie (sic), ton travail, ta future agence, tes rêves, tes échecs et tes réussites, tout le monde s’en fout. En France, la culture cultive ses oignons, le sport ses champions (et encore) et si vous n’êtes pas né pleureur (se) professionnel(le), c’est foutu! Pour compléter le tableau, passons sur les intellos de la photo qui prennent encore et toujours le photographe de sport pour un con (je résume), et les autres qui ne voient en lui qu’un possible partenaire … gratuit ! Si le jeune et dynamique stagiaire se moque de tout ça et qu’il ne pense que belle création, grande photo et beau sport, il a une chance-sur dix, aujourd’hui, de plutôt tirer le portrait d’un « vrai produit chimique » que d’un champion « pur et sain ». Quant à toi, tu pardonneras un jour à ce champion d’avoir porté atteinte à tes idéaux, mais lui ou d’autres, escortés de leurs agents et « conseillers » de tous poils, te feront payer, le plus cher possible, le nouvel impôt à la mode dans le milieu: le fameux « droit à l’image ». Et d’un seul coup, tu te découvres photographe criminel et « sponsor » de mecs cent ou dix mille fois plus riches que toi. Comme en France, tout finit par des chansons et des rires, je vous conseille, cher stagiaire, comme Boris Vian avec son déserteur, dans sa Lettre au Président, de déserter vous-même, tout de suite, vos rêves, vos passions et vos folles énergies avant que de n’avoir à en rire connement.

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